Moscovici analyse la politique étrangère de sarkozy

Publié le par Gérard CONTREMOULIN

Une politique étrangère néo-bonapartiste et néo-conservatrice


Par
Pierre Moscovici, Secrétaire National du PS


L’absence d’une vision globale de la politique étrangère chez Nicolas Sarkozy est frappante
, ce qui peut expliquer les hésitations de la diplomatie française et les contradictions entre les déclarations et les actes du Président. Une critique systématique n’est pas de mise. Quand le Président Sarkozy désavoue le candidat Sarkozy sur la Turquie cela va dans le bon sens. Faciliter le contact entre la majorité et l’opposition libanaise aussi. Il y a un style Sarkozy, activiste. Mais, quelles lignes de force ? Le mouvement pour le mouvement ne peut constituer une politique : «il court vite, mais ou va-t-il ? » titrait « The Economist ».


Certains revirements de Nicolas Sarkozy nous inquiètent
. D’abord, sur les valeurs et la démocratie : on connaissait la position du candidat Nicolas Sarkozy sur « l’immigration choisie ». On connaît maintenant sa vision de « l’homme africain qui n’est pas assez entré dans l’histoire », (Dakar, le 26 juillet). Ce discours, teinté de préjugés néo-colonialistes a soulevé une vague d’indignation chez de nombreux intellectuels africains et dans le reste du monde.


L’insistance sur le danger « d’une confrontation entre l’Islam et l’Occident »
comme étant « le premier défi auquel le monde est confronté n’est qu’une construction des penseurs néo-conservateurs américains. L’indispensable lutte contre le terrorisme qui menace la sécurité des citoyens (de l’Occident et de l’Orient), doit être menée avec fermeté, sans tomber dans le piège d’une « guerre globale contre le terrorisme » chère à George Bush. La référence à quelques groupes terroristes extrêmement minoritaires et à des groupuscules fondamentalistes rêvant « d’instaurer le khalifat » est là encore proprement une idée néo-conservatrice qui confond ces groupuscules avec l’ensemble des musulmans. D’où l’incroyable proposition de Sarkozy : pour « prévenir une confrontation entre l’Islam et l’Occident » il faut « aider les pays musulmans à accéder à l’énergie nucléaire ». La fourniture d’une centrale nucléaire au dictateur libyen s’inscrirait-elle dans cet objectif ? Comment peut-on lutter efficacement contre le terrorisme, y compris par la force si nécessaire, sans lutter contre tout ce qui l’alimente : les inégalités entre le Nord et le Sud aggravées par certains aspects de la mondialisation, les conflits régionaux, l’absence d’un véritable dialogue entre les cultures, une contribution plus efficace pour résoudre politiquement des conflits tels que celui qui se déroule en Irak et en Afghanistan.


En outre, dans la politique étrangère de Nicolas Sarkozy, il n’y a pas de place pour la démocratie et les droits de l’homme. Sa visite au Maghreb, notamment en Tunisie, où il a refusé de rencontrer les défenseurs des droits de l’homme en est un exemple. Autre exemple, son indulgence nouvelle envers la Russie de Poutine, qui certes «jouerait son rôle avec une «certaine brutalité», mais dont l’Europe attend « une contribution importante et positive au règlement des problèmes de notre temps que son statut retrouvé justifie», est loin de ses propos de campagne électorale.


Dans ses relations avec l’administration Bush
, ici, la position électoraliste de Nicolas Sarkozy dans les derniers jours de la campagne, s’efface devant les convictions atlantistes bien ancrées. En Irak. Au moment où les États-Unis cherchent une porte de sortie, la diplomatie française demande ouvertement à l’administration Bush de remplacer le Premier Ministre irakien, créditant l’idée que l’Irak est un pays occupé. L’Iran, où Nicolas Sarkozy brille par l’absence d’une position en matière de respect des droits de l’homme, s’aligne ouvertement sur la position américaine dans le dossier nucléaire. Alors que Mohammad El Baradei, Directeur général de l’AIEA, déploie en ce moment des efforts considérables pour tenter de trouver une solution à la crise, Nicolas Sarkozy entre dans une surenchère verbale. La déclaration sur « la bombe iranienne ou le bombardement de l’Iran » est contre-productive. Il est dommage que la France prenne en ce moment le contre-pied des efforts de l’AIEA. C’est aussi le cas de l’Afghanistan et de l’OTAN. On voit que l’insistance mise par Nicolas Sarkozy à souligner que « les progrès de l’Europe de la Défense ne s’inscrivent en aucun cas dans une compétition avec l’OTAN » n’était pas innocente. Ne s’agit-il pas de préparer le retour de la France au sein de la structure militaire intégrée de l’OTAN au détriment d’une politique européenne de la défense ? Ne s’agit-il pas d’un abandon pur et simple de notre autonomie en matière de défense et de l’affaiblissement de la position internationale de la France ?


La vision de Nicolas Sarkozy du monde actuel se traduit par une conception dépassée de la politique étrangère où l’Europe et l’Amérique du nord «pilotent» les grandes affaires du monde sans mesurer la multipolarité qu’impose l’irruption des grands pays émergents (Brésil, Union indienne, Chine, …) non seulement sur le plan politique (Nations Unies, G8…), mais aussi dans les grandes négociations commerciales (OMC). Le projet que développe Nicolas Sarkozy pour les organisations internationales, en particulier pour le système des Nations Unies, est à l’opposé des exigences du temps et des nouveaux défis recensés par le Sommet du Millénaire, qui nécessitent une réforme en profondeur de ces organisations parallèlement à leur démocratisation, comme le préconisent les socialistes. La multipolarité dont le Président Sarkozy se méfie ne doit pas forcément dériver vers la confrontation. Nicolas Sarkozy ne peut résoudre à lui seul, et même avec le concours de George Bush, tous les problèmes de la planète.


Telle est la politique de Nicolas Sarkozy. Une politique sans vraie vision, animée par elle-même, sans grands moyens aussi (le budget du Ministère des Affaires Étrangères est exsangue). Pas étonnant que cette politique, néo-bonapartiste et néo-conservatrice, suscite à l’étranger sévérité et scepticisme. Il nous revient d’éclairer les Français et de travailler à des alternatives. C’est une partie de notre travail sur la rénovation.

Publié dans International

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